Sus las lengas, los accents, los occitans, los basques... Extrach de Sur l'État - Cours au collège de France 1989-1992 de Pierre Bourdieu - Seuil 2012 - pagina 366 :
L'État produit un nationalisme dominant, le nationalisme de ceux qui ont intérêt à l'État ; il peut être discret, de bonne compagnie, ne pas s'affirmer de manière outrancière. L'État produit chez ceux qui sont victimes de la deuxième face du processus, chez ceux qui sont dépossédés par la construction de l'État-nation, des nationalismes induits, réactionnels : ceux qui avaient une langue et n'ont plus qu'un accent stigmatisé (comme les Occitans). Beaucoup de nations se construisent sur l'inversion d'un stigmate. Ces nationalismes induits, réactionnels, m'inspirent des sentiments ambigus. Évidemment, ils sont tout à fait légitimes dans la mesure où ils essaient de convertir les stigmates en emblèmes. Par exemple, vous pouvez vous dire que le serveur basque qui vous sert une bière à Saint-Jean-de-Luz en français parle bien le français pour un Basque, ou penser qu'il parle un français avec un accent dégueulasse... C'est un changement considérable. Mais, en même temps, qu'en faire ? Faut-il être basque ? L'ambiguïté des deux nationalismes est inhérente au processus de construction de l'État.
Ce processus que nous sommes obligés d'enregistrer comme inévitable - il est associé à tous les exemples d'État connus - est-il vraiment universel ? Ne peut-on imaginer, en vertu du droit à l'utopie contrôlée, fondée sur l'étude des cas réalisés, des voies vers l'universel qui ne s'accompagnent pas d'une monopolisation ? Cette question a été posée par les philosophes du XVIIIe siècle de manière à la fois raffinée et naïve. Je vous offre, pour la fin, un très beau texte de Spinoza, en remerciment, comme disait Lacan, de votre assistance aux deux sens du terme : « Par conséquent, un État qui, pour assurer son salut, s'en remettrait à la bonne foi de quelque individu que ce soit, et dont les affaires ne pourraient être convenablement gérées que par des administrateurs de bonne foi, reposerait sur une base bien précaire. Veut-on qu'il soit stable ? Les rouages publics devront être alors agencés de la façon que voici : à supposer indiféremment que les hommes chargés de les faire fonctionner se laissent guider par la raison ou par les sentiments, la tentation de manquer de conscience ou d'agir mal ne doit pas pouvoir s'offrir à eux. Car, pour réaliser la sécurité de l'État, le motif dont sont inspirés les administrateurs n'importe pas, pourvu qu'ils administrent bien. Tandis que la liberté, une force intérieure, constitue la valeur (virtus) d'un particulier, un État ne connaît d'autre valeur que sa sécurité. » Baruch Spinoza, Traité de l'autorité politique, in Œuvre complètes, Paris Gallimard, 1954, p. 921.